• La belle et la meute - Kaouther Ben Hania et J'AIME BIEN, MAIS...

    Après le temps du Jasmin en 2011 qui a fait espérer toute la jeunesse du monde arabe, Ben Hania nous fait déchanter devant une représentation anxiogène de la société tunisienne post-révolution et pourtant toujours lacunaire en terme de droits. Un film assurément féministe mais idéologiquement gênant...

    Une scénographie de théâtre à l'intérieur d'une mise en scène de cinéma est une forme audacieuse et techniquement assez complexe à réaliser. Chaque chapitre est un plan séquence d'environ 10 minutes, avec une succession de mouvements très précis qui rappellent la prouesse d'Hitchcock dans le film "La corde" (puisque lui aussi devait changer de bobine à l'issue de chaque plan séquence de 10 minutes). Une technique au service d'une dénonciation franche du peu de progrès démocratique en Tunisie. Ce pays étant encore sclérosé par la corruption, la tradition, et le poids de l'honneur familiale porté par les femmes. Ce choix de mise en scène théâtrale permet un excès dramatique dans le ton, mais donne aussi une impression de caricature.

    C'est un film de femme qui traite d'une angoisse de femme : la peur des hommes. Soulevant une question qu'on se pose toutes, à savoir comment vivre pleinement sa féminité sans risquer de s'attirer le désir (par nature agressif) des hommes. Comment donner à voir sa beauté sans être accusée d'être une tentatrice. Comment assumer son goût pour les hommes sans se sentir coupable. Cette problématique est universelle, et sans doute d'autant plus aiguë dans un monde arabe où la tradition laisse peu de place au plaisir de jouer avec sa féminité, par conséquent peu de place au plaisir érotique partagé en général, et donc une large tendance à la frustration.

    Mais si on se dit que l'harmonisation des rapports hommes/femmes est un problème d'ordre culturel, qui dépend de ce qui circule dans une société constituée d'hommes et de femmes, on regrette  que les hommes soient à ce point déshumanisés dans cette histoire. S'il est bien sûr légitime de se battre pour que la femme soit mieux protégée par la loi, s'il est bien sûr légitime de mettre en place des contre-pouvoirs pour limiter les abus de la police, il est dommage de comparer les hommes tunisiens à une meute de chiens. Cette analogie trop explicite dans le film me met mal à l'aise...

    La belle et la meute - Kaouther Ben Hania et

    On touche du doigt là où la lutte féministe devient gênante, quand elle diabolise le masculin en général, quand elle le déshumanise comme dans un processus de guerre où l’ennemi n'est qu'un barbare avec lequel tout dialogue devient impossible. Puisque la parole est ce qui fait lien entre les êtres humains, comment progresser culturellement avec une meute de chiens en présence ?

    Le viol à l'origine de ce récit met le spectateur immédiatement du côté de l'héroïne avec l'injonction de rendre impossible toute critique à son encontre. L'indication que ce film est tiré d'une histoire vraie tente de mettre le spectateur dans un état d'empathie plus que certain (je m’interroge de plus en plus sur la disparation de cette phrase au début des film "Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite"). Car si on fait l'exercice de mettre de côté l'histoire vraie d'une femme violée par des policiers - drame qu'on ne peut que condamner avec vigueur - que voit-on dans cette fiction ?

    Une représentation de la femme dans sa continuelle beauté quelques soit les circonstances. Tout au long du film, l'héroïne reste dans sa belle robe de satin bleue glamour telle une actrice de l'âge d'or Hollywood qui sublimerait la laideur du monde environnant. Elle reste dans cette splendeur innocente même dans la salle d'attente des urgences d'un hôpital bondé, ou seule dans les rues la nuit, ou encore lors de sa déclaration de plainte devant de virils policiers. C'est très cinématographique, très joli mais cela soulève une question de l'ordre du pouvoir.

    La belle et la meute - Kaouther Ben Hania

    Car si on se détache de ce qu'il y a de fascinant dans la beauté féminine, si on cesse d'être sous l'emprise de l'attractivité magique du féminin, si on sort du vecteur inconscient qui nous range du côté du beau ; il s'agit de comprendre que la beauté est un pouvoir. La force physique de l'homme est un pouvoir. La beauté de la femme est un pouvoir.  La beauté est une force, et il suffit pour s'en convaincre de voir ce qu'elle est capable de mobiliser comme énergie chez qui veut la posséder (homme ou femme). C'est pour cela qu'elle est première au service du capitalisme pour vendre du savon ou des voitures!

    C'est peut-être pour cela que le Père reste hors champ à la fin du film, quand son arrivée aurait été une sacrée ponctuation ? Le Père aurait pu représenter l'homme juste qui protège (enfin!) en limitant le pouvoir des hommes abusifs. Mais le Père est aussi celui qui doit limiter le pouvoir d'attractivité de sa fille qui ne peut pas se jouer partout (non pas parce qu'elle est coupable d'être belle, mais parce qu'il est naïf de penser que susciter le désir des hommes est sans danger).

    C'est ici que je vois du particulier dans le regard de Ben Hania, sous la forme d'une revendication d'un pouvoir féminin sans limite. L'utopie d'une société où le désir masculin serait sans cesse retenu et sans risque ; pour permettre au plaisir d'être femme de s'exprimer tout le temps. Une sorte de basculement du pouvoir du côté de la femme, libre de manifester sa beauté en permanence sans se soucier du désir qu'elle entraine, et tenant les hommes à distance malgré leur supériorité physique. Une domination comme renversée, certes jouissive pour les femmes sur le plan de la revanche (compte-tenu d'une domination masculine aujourd'hui écrasante pour les femmes du monde entier), mais toujours sans doute insatisfaisante sur le plan érotique, et douloureux pour nos civilisations.

     

    Fiche technique :

    • Titre original : Aala Kaf Ifrit
    • Réalisation : Kaouther Ben Hania
    • Scénario : Kaouther Ben Hania
    • Photographie : Johan Holmquist
    • Montage : Nadia Ben Rachid
    • Musique : Amine Bouhafa
    • Production : Nadim Cheikhrouha
    • Pays d’origine : Tunisie
    • Langue originale : arabe
    • Format : couleur
    • Genre : thriller, drame
    • Durée : 100 minutes
    • Dates de sortie :  France : octobre 2017
    • Budget : 850 000 euros

    Distribution :

     

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  • Conférence de Jérôme Garcin donnée à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1)

    Journaliste et écrivain français. Il dirige le service culturel du Nouvel Observateur, produit et anime l'émission Le Masque et la Plume sur France Inter, et est membre du comité de lecture de la Comédie-Française.

    Interviewé par M. Binh et F. Sosher

    Octobre 2017

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    Exposition Jean Rouch (BNF 2017)

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