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    touch-of-sin.jpgUne fresque sombre malgré quelques touches de lumière, qui ne dépeint pas uniquement la société chinoise, mais toute société dans laquelle l'individu doit se battre pour prendre sa place. Volonté inhérente à la condition sociale de l'homme ou particulièrement dramatique dans les sociétés individualistes ? Ma palme d'or 2013 !

     

    Dans cette Chine à la culture communautariste, où il nous semble (de loin) que l'individu est pris en charge par son groupe et donc plus sécurisé que dans nos sociétés occidentales individualistes, le cinéaste Jia Zhan Ke prend le parti de montrer quatre destins d'individus esseulés. 

     

    Le premier est un homme d'âge mur. Il semble a priori investi du noble rôle de syndicaliste, puisqu'il est animé d'un combat pour sauver les ouvriers de son usine. Cette dernière étant vouée a être rachetée par de riches industriels. Mais il s'avère rapidement que sa posture héroïque n'est que pur fantasme : 1) parce qu'il ne dispose d'aucun crédit de la part de ses collègues qui ménagent avant tout sa susceptibilité sans croire une seconde en ses veilléités d'action; et 2) parce qu'il n'est pas réaliste de croire qu'on puisse ne serait-ce qu'imaginer s'opposer aux transactions de puissants capitalistes sans être fou. 

     

    Refusant d'intégrer une réalité contre laquelle il ne peut rien, obsédé par l'idée de préserver cette image héroïque de lui-même, humilié publiquement par ses nouveaux partrons, et moqué par les gens de son village, il bascule dans une folie meurtrière. Drapé d'une écharpe à l'effigie d'un lion, et armé d'une carabine il part sur les routes enneigées pour tuer les puissants et les siens aussi... Sa force de protection des autres devient force de destruction absurde. Il supprime ce qui s'oppose à sa représentation du monde tel qui devrait être,  pour préserver son monde intérieur en voie d'effondrement. Seul contre tous, il n'est plus qu'un lion pour lui-même. 

     

    Le second personnage est un jeune homme plein de vitalité qui travaille en ville, également dans une usine. Victime du comportement abusif son chef, il a l'audace de démissionner pour aller travailler ailleurs. Il trouve un emploi de serveur dans un cabaret et tombe amoureux d'une prostituée. Encore un idéaliste pour lequel la réalité n'est pas soutenable et qui à la grande surprise du spectateur se jètera dans le vide en un instant. A cause de cette première déception d'un amour de jeunesse, ou parce qu'il s'avoue vaincu d'avance par un système qui ne peut que corrompre la justice et l'amour.

     

     

    Le troisième homme est terrifiant. Il n'est pas fou, il n'est pas pauvre, il n'est pas faible, il a un foyer, une tendre femme et un enfant. Mais rien ne l'atteint, rien ne le touche. Comme emmuré dans une prison mental, son ennui est infini. Et la seule chose qui lui permet de se sentir vivant, c'est de tuer! Il parcourt les routes de Chine à la recherche d'assassinats à commettre froidement. Comme si c'était la seule expérience qui lui permettait de sentir sa présence au monde. Sa puissance d'être là. Mise en scène magnifique du père qui montre à son fils un feu d'artifice dans la nuit et qui tire en l'air avec son revolver. Comme pour initier l'enfant au plaisir de pouvoir tirer... de pouvoir tuer ?

     

    Le dernier portrait est celui d'une femme. Elle est la maitresse d'un homme marié qui dit l'aimer sincèrement sans toutefois avoir le courage de quitter sa compagne. Elle décide de rompre cette relation vaine, quand une somme de drames s'abattent sur elle. La femme trompée la fait rouer de coups devant le lieu de son travail. Deux de ses  clients tentent de la violer au point qu'elle est obligé de poignarder l'un d'en eux.  Nous la voyons hébétée marcher dans les montagne enneigées telle un zombie que plus rien ne retient sur cette terre. De retour à son travail, une télé diffuse un documentaire sur le suicide chez les animaux. Tout nous pousse à croire qu'elle va mettre fin à ses jours. Quand nous la voyons dans un train, le look changé, les cheuveux coupés. Elle se rend dans une autre ville, pour travailler dans une autre usine. Elle recommence une autre vie.

     

    La figure la plus vulnérable du film est finalement la seule qui résiste, dans le sens où elle va poursuivre sa vie - malgré tout - sans cruauté ni désespoir. Sans doute parce que c'était la personnalité la plus humblement réaliste, qui n'attendait de la vie ni idéal, ni toute puissance.

     

    Ici Jia Zhang Ke fait échos à la thèse de Fritz Lang dans "M Le Maudit" ; à savoir qu'exister c'est toujours contre un l'autre. L'homme dans l'espace social dispose de ces deux potentialités extrêmes : tuer l'autre pour affirmer sa présence, ou se tuer soi-même quand il refuse le combat. Fritz Lang nous mettait face au paradoxe d'être à la fois coupable et innocent pour cela. Quand Jia Zhang Ke semble nous proposer une autre voie : oui il faut savoir tuer pour se défendre, et le reste du temps se servir de sa force pour... travailler!

     

     

     

    Fiche :

    Date de sortie 11 décembre 2013 (2h10min
    Réalisé par Jia Zhang Ke
    Avec Wu JiangWang BaoqiangZhao Tao plus
    Genre Drame
    Nationalité Chinois , japonais

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    laviedadele.jpgLa vie d'Adèle chapitre 1 et 2 est la Palme d'Or 2012. Ici Kechiche sait toujours admirablement filmer la jeunesse, et affirmer ses convictions politiques. Pour la sauvegarde de l'école publique ou la liberté d'aimer à sa manière. 

     

    Adèle c'est le prénom de l'actrice, et c'est aussi le titre du film. Comme si la caméra de Kechiche avait donné la vie à cette jeune fille. Comme si Kechiche faisait exister cette créature à partir du nombre incalculables de gros plans sur elle : sur sa bouche entre ouverte en toute situation, ses cheveux qui tombent sur son visage, sa peau lumineuse ou rougie, son cul trop serré dans son jean ou fessé par Emma lors des longues scènes de sexe.

     

    La fascination du cinéaste pour son atrice est évidente. Elle s'abandonnant et offrant tout à voir de ses formes sans retenue ; et dans une sorte de passivité totale. Avec un timbre de voix chaude qui contraste avec son apparente fragilité. Il y a d'elle une grâce qui s'échappe incontestablement, et qui fait d'Adèle l'actrice et d'Adèle le personnage romanesque la grande réussite de ce film. 

     

    J'aime beaucoup la manière dont elle continu à aller travailler avec dignité malgré son profond désespoir amoureux.  La scène que je prèfère est celle où Adèle fait une danse africaine avec les petits enfants, en se forçant à paraître joyeuse tout en étant au bord de l'effondrement. Belle métaphore de l'entrée dans l'âge adulte où il n'y a pas d'autre possibilité que de faire face au monde malgré nos chagrins intimes accumulés.

     

    Ce film est aussi un espoir réanimé envers la jeunesse d'aujourd'hui qui fera le monde de demain. Kechiche nous rassure : oui cette nouvelle génération continuera à aimer la littérature et la philosophie qui ne mourreront jamais malgré l'ère d'Internet. Et oui ils/elles continueront de mener des luttes collectives pour le maintien des progrès sociaux telle que l'école pour tous, malgré l'individualisme grandissant et la défiance envers le politique.

     

    C'est aussi un magnifique plaidoyer pour banaliser l'homosexualité. Le montage qui met côte à côte les actes sexuels lesbiens et la relation d'Adèle avec les enfants de sa classe, semble vouloir dire qu'un individu homosexuel n'est pas de facto malsain ou pervers. Et que l'inquiétude de voir élever nos enfants par des homosexuels n'est pas fondée.

     

    Mon seul bémôle est que je ne crois pas à la passion amoureuse d'Adèle avec Emma. Sans doute parce je ne crois pas au personnage d'Emma : lesbienne affirmée qui lisait Sartre dans sa jeunesse, d'éducation bourgoise, qui peint des nues de femmes (pas très beaux d'ailleurs) et qui finit par exposer dans une galerie prestigieuse. On dirait "Plus belle la vie" ! Peut-être que l'amour exclusif de Kechiche pour Adèle lui a fait négliger la construction du personnage de Léa... 

     

    Contrairement à ce que répète la presse, je ne pense pas que Kechiche ait voulu dire qu'Emma et Adèle sont en rupture du fait de leur différence sociale. Je pense plutôt qu'Emma croit en la nécessité de l'art pour sublimer sa vie, alors qu'Adèle n'a pas besoin d'art puisqu'elle croit que l'amour va remplir sa vie. Et ce sont ces deux croyances qui les divisent. Qu'est-ce qui peut nous combler et réduire notre angoisse de la solitude: le monde abstrait des idées et la production d'oeuvres d'art ou bien la relation émotionnelle et charnelle à l'autre ?

     

    Petite interprétation très personnelle. Je trouve que Kechiche filme Adèle avec beaucoup de désir, comme s'il voulait la manger morceau par morceau. Je me demande s'il n'exprime pas là justement le conflit du cineaste lui-même, à savoir qu'il est coincé entre sa satisfaction de produire un art abstrait (le cinéma) et le plaisir d'avoir pour matériaux l'humain (d'où une relation vicérale aux acteurs). Le cinéaste ne serait-il pas comme l'enfant innocent qui souhaite réunir ces deux idéaux : l'art et l'amour ? Malgré la triste vérité pratique qu'une passion pour l'un exclura systématiquement l'autre...

     

     

     

    Fiche :

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Vivement le chapitre 3.

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  • stoker.jpgUne esthétique sublime, de la danse de ce trio infernal aux tenues si raffinées de la jeune fille.  Un hommage au cinéma d'Hitchcock. La forme est aussi pure  que les personnalités sont noires. Un film sur le déterminisme implacable de mal au delà des apparences...

     

    Un début poétique de cette jeune femme, jupe flottant dans le vent, qui déclare avoir enfin compris qu'être libre c'est être soi-meme. Injonction qui interpelle tant on espère tous atteindre cette grâce... Sauf qu'ici c'est vers l'acceptation de ses pulsions destructrices que la jeune femme s'envole. Tel un rite initiatique du passage de l'adolescente introvertie à la femme désirante.
     
    Le père meurt, l'oncle vient consoler la mère et la fille en deuil. Ils sont 3 dans cette grande maison luxueuse. Un triangle qui annonce rivalité et conflit.
     
    Une mère médiocre qui séduit le frère de son défunt mari. Un oncle pervers qui révèle à la fille son propre goût a la transgresserions et du crime. Une analogie entre faire le mal et la décourverte de la jouissance sexuelle, comme s'il fallait accepter l'un pour pouvoir acceuillir l'autre. Un plaisir d'être là toujours au détriment d'autrui.
     
    Par delà le bien et le mal, ce film montre avec  un certain mysticisme - et c'est là que Park Chaa-wook se distingue d'Hitchcock qui aurait sans doute des personnalités plus stéréotipées -  les rouages de l'avenenant de personnalités perverses. Selon le parti pris que cela serait déterminé depuis la tendre enfance. Lacanien, certes, mais tellement pessimiste sur la nature humaine... Puisque qu'aucune figure positive ou capable de résistance n'apparaît dans cette histoire.
     
    Cela peut faire échos à Orange Mécanique de Kubrick où le héros sans aucune morale se livrait a toutes ses pulsions nocives mais contre une société qui tente à tout prix de le réfréner.
    Ou bien rappelle le déterminisme de la paranoïa destructrice qui s'abat implacablement  chez le protagoniste de Take Shelter - Jeff Nichols (2012) . Mais ce dernier tente de comprendre et de se batttre.
     
    Je déplore que Stocker explore la perversité pour elle même, sans contre-point ni opposition. Et qu'il fasse une analogie risquée entre le plaisir sexuelle de la femme et sa capacité à détruire. Même si point d'un point de vue formel ce film est parfait !
     

     

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  • a-la-merveille.jpgLe titre "A la merveille" est loin de ce que j'ai ressenti de ce film, qui aborde selon moi un des thèmes les plus tristes et sourds qui soit: comment être seuls à deux. Difficile d'oser critiquer ce grand cinéaste qu'est Terrence Malick, mais le choix des situations et des dialogues intérpèlent...

     

    Les premiers plans du films montrent deux amoureux qui se baladent à Paris ou en bord de mer, échangeant des gestes et mots doux à la limite du ridicule. C'était tellement incroyable pour moi de penser que j'assistais à du Terrence Malick que j'ai cru que c'était un court-métrage français d'avant la projection. Je dis même à une amie qui arrive en retard "Pas de soucis le film n'a pas commencé, c'est un court-métrage ennuyeux qui va bientôt se terminé". Puis je réalise que le hasard d'avoir Ben Affleck dans le deux histoires est tout de même étrange...

     

    L'ennuie n'est pas passé j'avoue. Même si j'aime bien le côté abstrait de ce genre de film qui laisse libre court à toutes nos interprétations. Mais la grâce de  The tree of life - Terrence Malick (2011) n'est pas présente ici.

     

    Les figures masculines et féminines sont si radicales. L'homme fort et muet qui est asséché sentimentalement. La femme qui est la nature, gambade avec vitalité dans les près. Elle est pleine d'un amour que l'homme est incapable d'acceuillir.

     

    Les mots bibliques semblent louer l'amour vers quoi il faudrait tendre à tout prix. Pourtant la femme touchée par cette grâce de savoir aimer est quand même à genoux devant l'homme, sans qui elle est réduite à néant.

     

    Est tout de même réussi cette ambiance de couple raté. Qui malgré le glamour apparent n'a pas d'autres échanges que celui des corps. Ils paraissent être implacablement étrangers l'un à l'autre.  Mais alors se dégage de cette atmosphère le sentiment qu'il y a un désespoir infini à se sentir seul à deux. C'est si pessimiste, peut-être si contemporain...

     

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  • No.jpg"NO", du réalisateur chilien Pablo Larrain, promettait d'être un film passionnant, abordant les collusions pour une fois positive du politique et des médias. Positive dans le sens où la publicité est la figure héroïque qui va destabiliser la dictature d'Augusto Pinochet. Et pourtant, NO ce n'est pas un film passionant!

     

    La réalisation stylisée façon reportage TV des années 80 nous met dans l'ambiance d'une histoire pas si lointaine. Le talentueux Gael Garcia Bernal porte l'intrigue. En dehors de lui les autres acteurs me font l'effet d'un téléfilm. L'ambiance générale est fraiche et le sujet choisi d'une rare richesse. Pourtant ce film dénote sur plusieurs aspects.

     

    Sur le fond, je comprends que la moral de l'histoire est qu'il est possible d'être un résistant sans avoir aucune conscience politique. C'est le cas du héros qui souhaite faire des publicités contre le référendum de Pinochet selon une stratégie des codes publicitaires classiques, avec des messages positifs, et refusant l'autérité de messages qui dénoncent les exations de la dictature. Or ce parti pris n'est pas vraiment crédible. Si le génial publicitaire, René Saavedra, souhaite faire une campagne joyeuse, il travaille aussi en collaboration avec d'autres personnes plus engagées qui amènent cette dimention contestataire dans la campagne pour le NON. Le film fait du publicitaire apolitique le héros de la victoire, alors que rien ne dit que les chiliens n'ont pas avant tout été sensibles au messages qui ont dénoncé Pinochet.

     

    Aussi, les proches de Pinochet sont représentés comme des gouvernants ridicules et déconnectés de leur époque, mais sans rien de si inquiétants. On en oublierait preque que le régime de Pinochet c'est 3200 morts et disparus, et plus de 38 000 torturés !  

     

    Sur la forme, l'intensité du film ne monte pas créscendo mais reste assez plate tout du long. Sans aucun moment vraiment émouvant. Essentiellement parce que le montage trop haché ne laisse pas de place au temps nécessaire au développement d'une émotion.

     

    Il y a aussi pas mal de confusion dans le scénario, on ne comprend pas bien la relation entre René et le responsable de la campagne du OUI, qui est parfois menaçant avec lui et parfois amical. La dernière scène n'est pas clair puisqu'il semble que Réné, après la victoire du NON, retourne travailler pour les anciens du gouvernement ??  D'ailleurs je n'ai jamais vu une salle de spectateurs aussi attentive au générique de fin. Je crois que frustré par cet épilogue étrange, ils attendaient encore une ultime conclusion même après le noir de fin !

     

    Bref, je ne retiendrais qu'une scène très réussie de Gael Garcia Bernal qui dévale en squate board les rues ensoleillées, donnant un sentiment de liberté et de bonheur incroyable. A me vendre le regret de ne pas avoir vécu au Chili dans les années 80...

     

    Fiche :

    Date de sortie 6 mars 2013 (1h 57min

     

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