• House of Cards, ou les hypocrites de la civilisation

     

    Par Leïla Touati

     

    {Série TV} House of Cards, ou les hypocrites de la civilisation (2013-2018)“En réalité ils ne sont pas tombés aussi bas que nous le redoutions, parce qu’il ne s’étaient pas élevés aussi haut que nous l’avions pensé d’eux.” écrivait Sigmund Freud dans La désillusion causée par la guerre (paru en 1915). C’est cette question qui est brillamment mise en scène dans la série House of Cards créée par Beau Willimon et diffusée sur Netflix de 2013 à 2018. 

     

    L’incipit de la série, soit les premières images de l’épisode #1, montre un homme vêtu d’un costume très élégant qui marche, tard le soir dans la rue, accompagné de son garde du corps. Quand soudainement, une voiture percute un chien qui est propulsé sur le trottoir aux pieds des deux hommes. Nous entendons - hors champ - les cris du chien qui souffre puis Kevin Spacey qui se penche auprès de l’animal pour évaluer la situation. Rapidement, il prend la décision de se saisir de l’arme de son garde du corps pour provoquer la mort du chien. En quelques plans, voici l’illustration parfaite de la raison d’état ! Ce concept politique au nom duquel on s’autorise à violer le droit (et la morale) au nom d’un critère supérieur.

     

    Ici Kevin Spacey interprète le rôle de Frank Underwood, qui est présenté de fait comme un homme capable de cruauté tout en étant également un homme qui prend ses responsabilités. C’est à dire un homme capable de soutenir une position éthique qui peut s’écarter de la morale populaire. Tous les hommes ne sont pas capables d’agir quand il s’agit de devoir faire le mal si c’est un moindre mal. C’est la force des séries américaines je crois que de savoir nous mettre face à des problématiques philosophiques épineuses ; en proposant au spectateur de s’identifier à des personnages malfaisants bien qu’il ne soit pas si aisé de les condamner au regard des réalités auxquelles ils sont confrontés.

     

    Dans la série House of cards, il s’agit donc de voir évoluer des hommes et femmes politiques qui luttent pour accéder au pouvoir dans le cadre des règles de la Constitution des Etats-Unis ; et qui oeuvrent aussi pour le maintien de l'hégémonie américaine dans le monde. Dans ces deux cas, au niveau micro et macro, chacune des situations exposées nous permet de mesurer l’écart entre le droit et les actes ; entre la morale et la nécessité. 

     

    Mais si euthanasier un chien qui souffre trop est acceptable pour l’essentiel d’entre nous, la série va rapidement nous montrer que Frank Underwood viole le droit commun au nom d’une ambition personnelle aveugle et sans aucune considération pour le peuple américain qu’il méprise. Chez lui, le langage n’est que que pur semblant destiné à masquer l’horreur de ses actes. Dans le discours il sait fait preuve de compassion, de solidarité, voir de sagesse ; quand dans les faits il manipule, détruit les carrières de ses adversaires ou les assassine carrément quand ils deviennent trop gênants. C’est en cela qu’on pourrait le qualifier “d’hypocrite de la civilisation”. Et il n’est pas le seul car cette série télé, tout au long de ses 6 saisons, va déployer toute une série de portraits de personnalités hautement influentes (pas seulement des américains mais également des chinois, des russes ou des arabes) qui savent d’autant mieux manier les mots en public qu’ils oeuvrent avec malveillance en coulisse. Le parti pris de cette série me semble alimenter le point de vue de Freud qui écrit : “Il y a incomparablement plus d’hypocrites de la civilisation que d’hommes authentiquement civilisés [...]” puis Freud poursuit avec cette nuance : “[...] et même on peut se demander si une certaine part de cette hypocrisie n’est pas indispensable au maintien de la civilisation [...]”

     

    Incarner dans son être la raison d’état n’est pas donné à tout le monde. Ces psychologies là sont du côté de l’exception et c’est sans doute tant mieux. Néanmoins, on peut s'interroger sur ce que serait le monde sans ces individus aux prises avec le réel des frontières, de la guerre et de la mort ? Peut-être ont-ils pris au pied de la lettre le vieil adage Si vis pacem, para bellum. Si tu veux maintenir la paix, arme-toi pour la guerre…

     

    Par ailleurs, pour faire honneur à ce qu’il y a de lumineux dans la série House of Cards, il ne faudrait pas omettre de souligner la finesse avec laquelle cet animal politique est dessiné. Au cours de ses 73 épisodes, la série réussit à déployer les personnalités de 40 hommes et femmes politiques différents ; issus de toutes les origines ethniques et de toutes les classes sociales. J’invite le spectateur à ne pas trop se laisser halluciner par les personnages monstrueux que sont Frank et Claire Underwood, pour s’attacher aux personnages secondaires qui permettent d’affiner la question de la volonté de pouvoir. Car cette série télé montre également des hommes politiques honnêtes et bien intentionnés envers le peuple, des femmes ambitieuses mais soucieuses de ne pas compromettre leurs principes, des hommes animés par de profondes convictions personnelles, des femmes fortes et en quêtes de justice, etc. Finalement, des citoyens comme nous tous, confrontés aux surprises du réel au devant duquel il s’agit de savoir jongler entre idéaux et principe de réalité ; sans jamais cesser de s’ajuster aux situations particulière qui se présentent. Parce que l’éthique c’est vivant (là où la morale est figée).

     

    Ainsi, même au plus sommet de l’Etat - comme l’a si bien illustré André Gide dans son roman Les faux-monnayeurs (1925) ou William Friedkin dans son film Live and Die in LA (1985) - le vrai et faux se côtoient en permanence, l’imposteur et le légitime habitent les mêmes cercles, le bon et le mauvais se font faces en souriant avec “des dents d’une égales blancheurs”. Au vue des 40 personnages de la série House of Cards, tout un chacun peut se demander duquel il se se sent psychologiquement le plus proche ? Moi, je serai sans doute Catherine Durant...

     

     

     

    1,2 Sigmund Freud, La désillusion causée par la guerre, Payot Classiques (1915)

    3  Charles Baudelaire, Le joujou du pauvre, Le Spleen de Paris (1869)

     

     








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  • Foutage de gueule. Dès la première scène quand on nous montre un astronaute mort ligoté dans ses cables, tenant subrepticement la photo de sa femme, ses enfants et son chien souriants devant leur belle maison. Là je me sens insultée dans mon intelligence de spectateur du fait qu'il n'est pas possible d'être ému à ce moment là. Le temps de l'information ce n'est pas le temps de l'émotion, et c'est justement ça le cinéma (contrairement au chaine d'info en continu) faire émotion avec des images parce qu'on prend le temps du développement long et nuancé. J'ai donc proposé à mon ami de quitter la salle parce qu'il y a avait mille fois mieux à faire dehors, il était heureux que je le lui propose au vu du ridicule des dialogue et de ce personnage du chien de Sandra Bullock !

     

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  • à faire

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  •  Dans les ghettos de Caracas au Vénezuela, un jeune garçon         sensible    rêve d'avoir les cheveux lisses comme un chanteur à la mode. Quand sa mère essaye d'élever seule ses deux enfants tout en essayant de faire face à un quotidien désenchanté (pauvreté, corruption, harcèlement sexuel..).

    La délicatesse de son fils, doublé de son identité métisse lui font craindre des difficultés d'adaptation dans une société raciste et violente. Sa tentative à elle d'être aussi dur qu'un homme pour survivre est aussi laborieuse que l'innocent désir du garçon de raidir ses cheveux crépus.

     

    J'ai eu l'honneur d'être invitée à la web émission Screener pour faire la chronique de se film. Alors je vous laisse l'écouter.

    https://soundcloud.com/screener-espace-albatros/screener-emission-du-16-04-2014

    Lila

     

    Fiche :

    Date de sortie 2 avril 2014 (1h33min
    Réalisé par Mariana Rondón
    Avec Samantha CastilloSamuel Lange ZambranoBeto Benites plus
    Genre Drame
    Nationalité Vénézuélien

     

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    touch-of-sin.jpgUne fresque sombre malgré quelques touches de lumière, qui ne dépeint pas uniquement la société chinoise, mais toute société dans laquelle l'individu doit se battre pour prendre sa place. Volonté inhérente à la condition sociale de l'homme ou particulièrement dramatique dans les sociétés individualistes ? Ma palme d'or 2013 !

     

    Dans cette Chine à la culture communautariste, où il nous semble (de loin) que l'individu est pris en charge par son groupe et donc plus sécurisé que dans nos sociétés occidentales individualistes, le cinéaste Jia Zhan Ke prend le parti de montrer quatre destins d'individus esseulés. 

     

    Le premier est un homme d'âge mur. Il semble a priori investi du noble rôle de syndicaliste, puisqu'il est animé d'un combat pour sauver les ouvriers de son usine. Cette dernière étant vouée a être rachetée par de riches industriels. Mais il s'avère rapidement que sa posture héroïque n'est que pur fantasme : 1) parce qu'il ne dispose d'aucun crédit de la part de ses collègues qui ménagent avant tout sa susceptibilité sans croire une seconde en ses veilléités d'action; et 2) parce qu'il n'est pas réaliste de croire qu'on puisse ne serait-ce qu'imaginer s'opposer aux transactions de puissants capitalistes sans être fou. 

     

    Refusant d'intégrer une réalité contre laquelle il ne peut rien, obsédé par l'idée de préserver cette image héroïque de lui-même, humilié publiquement par ses nouveaux partrons, et moqué par les gens de son village, il bascule dans une folie meurtrière. Drapé d'une écharpe à l'effigie d'un lion, et armé d'une carabine il part sur les routes enneigées pour tuer les puissants et les siens aussi... Sa force de protection des autres devient force de destruction absurde. Il supprime ce qui s'oppose à sa représentation du monde tel qui devrait être,  pour préserver son monde intérieur en voie d'effondrement. Seul contre tous, il n'est plus qu'un lion pour lui-même. 

     

    Le second personnage est un jeune homme plein de vitalité qui travaille en ville, également dans une usine. Victime du comportement abusif son chef, il a l'audace de démissionner pour aller travailler ailleurs. Il trouve un emploi de serveur dans un cabaret et tombe amoureux d'une prostituée. Encore un idéaliste pour lequel la réalité n'est pas soutenable et qui à la grande surprise du spectateur se jètera dans le vide en un instant. A cause de cette première déception d'un amour de jeunesse, ou parce qu'il s'avoue vaincu d'avance par un système qui ne peut que corrompre la justice et l'amour.

     

     

    Le troisième homme est terrifiant. Il n'est pas fou, il n'est pas pauvre, il n'est pas faible, il a un foyer, une tendre femme et un enfant. Mais rien ne l'atteint, rien ne le touche. Comme emmuré dans une prison mental, son ennui est infini. Et la seule chose qui lui permet de se sentir vivant, c'est de tuer! Il parcourt les routes de Chine à la recherche d'assassinats à commettre froidement. Comme si c'était la seule expérience qui lui permettait de sentir sa présence au monde. Sa puissance d'être là. Mise en scène magnifique du père qui montre à son fils un feu d'artifice dans la nuit et qui tire en l'air avec son revolver. Comme pour initier l'enfant au plaisir de pouvoir tirer... de pouvoir tuer ?

     

    Le dernier portrait est celui d'une femme. Elle est la maitresse d'un homme marié qui dit l'aimer sincèrement sans toutefois avoir le courage de quitter sa compagne. Elle décide de rompre cette relation vaine, quand une somme de drames s'abattent sur elle. La femme trompée la fait rouer de coups devant le lieu de son travail. Deux de ses  clients tentent de la violer au point qu'elle est obligé de poignarder l'un d'en eux.  Nous la voyons hébétée marcher dans les montagne enneigées telle un zombie que plus rien ne retient sur cette terre. De retour à son travail, une télé diffuse un documentaire sur le suicide chez les animaux. Tout nous pousse à croire qu'elle va mettre fin à ses jours. Quand nous la voyons dans un train, le look changé, les cheuveux coupés. Elle se rend dans une autre ville, pour travailler dans une autre usine. Elle recommence une autre vie.

     

    La figure la plus vulnérable du film est finalement la seule qui résiste, dans le sens où elle va poursuivre sa vie - malgré tout - sans cruauté ni désespoir. Sans doute parce que c'était la personnalité la plus humblement réaliste, qui n'attendait de la vie ni idéal, ni toute puissance.

     

    Ici Jia Zhang Ke fait échos à la thèse de Fritz Lang dans "M Le Maudit" ; à savoir qu'exister c'est toujours contre un l'autre. L'homme dans l'espace social dispose de ces deux potentialités extrêmes : tuer l'autre pour affirmer sa présence, ou se tuer soi-même quand il refuse le combat. Fritz Lang nous mettait face au paradoxe d'être à la fois coupable et innocent pour cela. Quand Jia Zhang Ke semble nous proposer une autre voie : oui il faut savoir tuer pour se défendre, et le reste du temps se servir de sa force pour... travailler!

     

     

     

    Fiche :

    Date de sortie 11 décembre 2013 (2h10min
    Réalisé par Jia Zhang Ke
    Avec Wu JiangWang BaoqiangZhao Tao plus
    Genre Drame
    Nationalité Chinois , japonais

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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