• La grande bouffe - Marco Ferrerri (1973)

     

    J'ADORE !

    Voilà du cinéma comme je l'aime: dérangeant, libre, et très drôle ! Dès le début du film on riait pour un rien tant il semble que le film soit chargé d'une aura qui met de bonne humeur. Voilà une représentation féroce de l'homme occidental hyper désirant qui se gave de bouffe et de sexe sans pouvoir échapper à sa pesante morbidité. Métaphore des névroses qu'engendrent la productivité industrielle et l’accumulation capitaliste dans la société moderne.

     

    Le premier est un grand chef cuisinier lassé par son mariage (par Ugo Tognazzi, hilarant dans son imitation de Marlon Brando dans "Le parrain"), le second est un juge incestueux (par le génial Philippe Noiret), le troisième un pilote d'avion lubrique (par l'immense Marcelo Mastroanni), et le quatrième est un danseur à la retraite (par l'impressionnant Michel Piccoli). Quatre grands bourgeois pris d'un égal délire de jouissance suicidaire malgré des métiers - artistiques ou pas -  sensés apporter une grande satisfaction sociale.

    La grande bouffe - Marco Ferrerri (1973)

     

    La grande bouffe - Marco Ferrerri (1973)

    Au fur et à mesure du film on comprend qu'ils se sont donnés rendez-vous dans cette grande maison de campagne pour se suicider ensemble à force de grands diners. Ugo ne cesse de préparer des plats plus alléchants les uns que les autres, que les quatre hommes ne cessent de bouffer jusqu'à la nausée. Comme pour signifier le délire collectif dans lequel est pris la société contemporaine en s'encourageant bêtement dans cet excès de consommation qui mène à l'autodestruction.

    La grande bouffe - Marco Ferrerri (1973)

    On rit jusqu'à ce qu'arrive le thème de Philippe Sarde au piano, d'une immense tristesse, qui transforment les protagonistes en clowns tristes, pauvres bourgeois n'ayant pas su quoi faire d'autre des abondances du monde qu'une satisfaction égoïste et froide : https://www.youtube.com/watch?v=tI4ea2XBuBQ

    La grande bouffe - Marco Ferrerri (1973)

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    Gilles Mouëllic, Professeur en études cinématographiques à l'Université de Rennes 2

    présente son livre sur le film de John Cassavetes :

    Meurtre d'un bookmaker Chinois

     

    Meutre d'un bookmaker chinois - John Cassavetes (1976)

     

    Gilles Mouëllic travaille sur le programme de recherche TECHNES (http://technes.org/fr/) autour des techniques audiovisuelles et de leurs usages. Il s’agit de repenser l’histoire du cinéma à partir des machines et de la manière dont les cinéastes ont pu les manipuler pour aboutir à de nouvelles formes et faire du cinéma autrement. C’est un programme international, sur 7 ans, qui a pour objectif de publier une encyclopédie des techniques du cinéma. Dans le cadre de cette recherche Gilles Mouëllic a publié un ouvrage sur le film de John Cassavetes « Meurtre d’un bookmaker chinois » (1976).

     

    A la fin des années 50, des cinéastes tels que John Cassavetes, Jean-luc Godard, Johan van der Keuken ou Jean Rouch désirent faire un cinéma plus agile, moins lourd à déplacer sur le plan matériel. Ce qui coïncide avec la transition vers le son direct synchrone plus léger à transporter. Aussi quand Cassavetes, après s’être épuisé dans la gestion de la distribution de ses films,  a voulu refaire un film de manière libre avec ses amis acteurs et techniciens, il s’est emparé des outils pour faire une prise son direct et synchrone. Et c’est avec la plus grande indépendance qu’il réalise un film a priori policier « Meurtre d’un bookmaker chinois ».

     

    Toutefois, Gilles Mouëllic note que si Cassavetes peut se réjouir de l’agilité de cette technique il va faire des choix esthétiques permettant de ne pas se soumettre à la contrainte suivante : une prise son directe synchrone implique de ne pas doubler les voix en post-pruduction et nécessite donc un parfait raccord son/image lorsque l’on voit les bouches parler à l’écran. En revoyant « Faces » (1968) qui est un film de Cassavetes au montage très « cutté », au rythme très rapide, Gilles Mouëllic s’apperçoit que les plans choisis au montage sont ceux où les bouches sont masquées, comme pour se libérer de la durée imposée par la parole et le son synchrone. Cassavetes invente quelque chose à partir d’une contrainte technique. Ce qui lui permet d’avoir plus de choix lors du montage.  « Faces » serait comme une sorte de matrice d’expérience pour Cassavetes, qui va déployer sa manière de faire avec plus de maitrise dans ses films suivants.

     

    Dans « Meurtre d’un bookmaker chinois », Cassavetes semble vouloir échapper à la contrainte de l’espace. Il n’est pas possible de reconstituer l’espace du club de striptease de Vittelli à partir des images du film. Tout comme dans la scène où Gosmo Vittelli joue au pocker, il n’est pas possible de reconstituer la structure du lieu diégétique. De cette manière, lors du montage, Cassavetes pourra faire tous les raccords regards qu’il souhaite, sans créer d’incohérence dans la salle de jeu du récit. Cassavetes connu pour libérer les corps et le geste dans ses films, libère finalement le son et l’espace aussi.

     

    Par ailleurs, dans ce film Cassavetes a choisi de mettre Ben Gazzara en situation de jouer avec des acteurs amateurs (les danseuses sont véritablement des stripteaseuses dans la vie) et des acteurs professionnels (les escrocs de la mafia). Sachant qu’il était interdit aux acteurs confirmés de donner des conseils aux acteurs non-professionnels. Dans le moment du film où Gosmo Vittelli, blessé d’une balle dans le ventre, parle avec la mère de sa petite amie ; nous avons Ben Gazzara acteur professionnel qui improvise en face à face avec une actrice amateur : Virginia Carrington. Cassavetes se charge de prendre la caméra pour ce moment sensible du tournage. Et Gazzara témoignera de son grand embarras à devoir donner la réplique à une non-actrice, tout en se servant de cet embarras dans son jeu, qui prend alors une tonalité singulière. Contrairement à la scène dans la voiture où les mafieux demande à Gosmo de tuer le bookmaker chinois, à cet endroit Vittelli est entouré d’acteurs professionnels (comme lui), et Cassavetes le met en lumière de manière à le fondre avec les mafieux dans le film.

     

    « Meurtre d’un bookmaker chinois » est un des films les plus incompréhensible de Cassavetes, que ce dernier reconnait comme faisant pleinement parti de son oeuvre. Le personnage de Gosmo Vittelli est difficile à saisir et Gazzara témoignera lui-même de son manque de compréhension du rôle qu’il devait jouer. Une thèse particulièrement répandue défend l’idée qu’il s’agit ici d’un auto-portrait de Cassavetes : un homme de spectacle amateur qui tente de résister aux producteurs hollywoodiens véreux. Mais Gilles Mouëllic s’inscrit en faux contre cette hypothèse, pensant qu’il s’agit ici du portrait complexe d’un homme qui fuit la réalité. Ce qui n’est pas du tout l’état d’esprit de Cassavetes, qui est un homme qui croit en la nécessité de  se confronter au principe de réalité.

     

    Meutre d'un bookmaker chinois - John Cassavetes (1976)

     

    L’investigation de Gilles Mouëllic l’amène à penser que Gosmo Vittelli est un homme qui croit sincèrement à la valeur du spectacle qu’il créé pour son club de striptease mais qui ne veut pas se confronter au réel. Il se promène toujours avec ses danseuses comme si elles constituaient un bouclier contre le monde qui l’entoure. Il y a chez lui une porosité entre le monde réel et le monde du spectacle. D’autant plus qu’il semble vivre sa vie de manière très désincarné, ne semblant avoir aucun désir charnel pour ces belles femmes qui l’entourent,  ni pour sa petite amie (pourtant sublime). Comme s’il voulait vivre en surface, sans se confronter à la matérialité du monde. Alors même si Cassavetes a de la tendresse pour ce genre d’homme pris dans un certain égarement, il ne s’identifie sans doute pas à ce caractère là.

     

    Enfin ce qu’il y a de déroutant dans ce film c’est aussi la difficulté de le positionner dans un genre. Il s’agit d’un film policier sans suspens, dans lequel la scène de crime du bookmaker est plate et ne respecte pas les principes du genre. La poursuite du mafieux voulant tuer Vittelli ressemble à un jeu d’enfants. Cassavetes ferait plutôt ici un pastiche du film noir américain.

     

    Toutefois, Gilles Mouëllic pense qu’il s’agit surtout d’une anti-comédie musicale. Et c’est pour cela que le show de Vittelli devait être médiocre dans ce film de Cassavates. La comédie musicale américaine montre souvent des personnes lambda qui, maladroites au début du récit, finissent par être éblouissantes de professionnalisme comme par magie. Comme pour dire à l’américain moyen que lui aussi peut devenir une star.  Or chez Cassavetes le cinéma aide a affronter le monde dans sa brutalité, dans sa réalité, dans sa matérialité mais ne doit pas inventer le monde comme spectacle. C’est en ce sens que « Meurtre d’un bookmaker chinois » peut être considéré comme une profonde critique de la comédie musicale américaine.

     

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  • J'AIME BIEN

    Une métaphore du poids de la culpabilité qui pèse sur les épaules de la génération des hommes de 50/60 ans, qui ont été les acteurs principaux de la guerre civile des années 90 en Algérie. La concorde civile décrétée par l'Etat pour rétablir la paix étant une terrible chape de plomb qui 1) empêche d'écrire l'histoire et de juger les coupables, 2)  rend les générations qui suivent aveugles et angoissé 3) installe une sorte de stagnation de la société toute entière

    Un film difficile a apprécier si on ne connait pas l'histoire - si singulière - de l'Algérie des ces dernières décennies. Rappelons que les années 90 sont le théâtre d'une terrible guerre civile suite à l'interruption du processus démocratique (soutenu par la France)  qui amenait la victoire des islamistes. Guerre d'autant plus terrible que personne ne savait qui tuait les civiles : l'état algérien pour décrédibiliser les islamistes ? les algériens qui ont voté pour les islamistes se serait mis à tuer leur voisins ? des islamistes venus d'ailleurs (d'Afghanistan) pour lutter contre le FLN soutenu par la France ? C'est une confusion qui ne trouvera pas d'éclaircissement puisque l'état décrète la "concorde civile" pour faire la paix certes, mais qui empêche d'écrire l'histoire et de juger les coupables.

     

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  • The square...J'AIME BIEN

    Dès l'incipit du film, Ruben Östlund remet en question l'idée que le musée serait le lieu qui désigne ce qui fait art. Christian, le conservateur du musée dit à la journaliste que si elle posait son sac dans un coin du musée alors ça deviendrai une oeuvre. Puis le montage enchaîne sur des ouvriers qui travaillent minutieusement le pavé pour la prochaine installation en extérieure. Une remise en perspective de l'art contemporain face à l'homme dans sa vie quotidienne. 

    L'art sera toujours en deçà du niveau de complexité et du mystère de l'homme. Il suffit de mettre en scène un homme atteint du syndrome de Tourette en pleine conférence sur l'art contemporain pour s'en convaincre : très étrange maladie d'une rare cruauté qui oblige celui qui en est atteint à crier des mots vulgaires en public : c'est une sacré performance ! 

    Quand Christian rentre chez lui dans son bel appart bien rangé, avec des tableaux géométriques au mur. Le tableau devient flou à l'arrivée de ses deux petites filles qui se chamaillent violemment  en rentrant de l'école. Comme pour dire qu'il y une évolution des formes de l'art mais pas tellement d'évolution de l'homme qui grandi toujours de la même manière : dans une grande énergie qui inclue de l'agressivité. 

     

    The square - Ruben Östlund (2017)

      

    S'il est difficile d'évaluer l'art de son époque et de distinguer ce qui a de la valeur de ce qui n'en a pas ; par contre on peut désigner ce qui ne fera jamais art : la publicité ! Les deux idiots experts en marketing qui mettent en place l'idée d'une enfant blonde qui se fait exploser dans le carré "the square" n'ont pas d'autres ambitions que de faire le buzz sur youtube. Les formes destinées sans scrupule à séduire les foules, proviennent d'individus obsédée par l'audience, sans point de vue personnel, sans propos à défendre, sans intérêt.

    The square - Ruben Östlund (2017)

     

    Ostlund signe une scène incroyable avec la performance de l'homme sauvage en plein diner mondain (affiche du film). Il s'agit d'une performance artistique destinée à surprendre dans sa capacité à transgresser les limites (comme le recherche l'art contemporain aujourd'hui) mais finalement où se trouve la limite? Tant que l'homme singe saute sur les tables en grognant, ça passe. La petite frayeur qu'il procure aux invités sur son passage fait sensation, et l'admiration est encore dans le regard de l'homme civilisé : femmes superbement coiffées et hommes vêtus de costumes parfaits. Pourtant dès que l'artiste fait preuve d'une véritable violence envers les autres, et manifeste son désir sexuel pour une femme, alors rien ne va plus. La terreur immobilise la foule puis la pousse au lynchage de l'homme singe.

    Cette performance de Terry Notary qui aurait toute sa valeur dans le cadre de l'art vivant aujourd'hui ne peut dépasser une limite qu'au cinéma (tirer une femme du public à terre par les cheveux). Le cinéma devient prolongement et valorisation d'une oeuvre contemporaine. C'est pourquoi on ne peut pas penser que Ostlund méprise l'art contemporain. Non, il l’interroge.

    Il l'interroge en montrant ce qu'il peut y avoir de sclérosé dans le microcosme d'un musée qui devient un espace figé et mondain où l'on s'ennuie. Et séparer des populations modestes qui sont isolés dans des cités HLM éloignées du centre ville. Le conservateur du musée finit par se confronter à eux en face à face pour s'excuser de les avoir manipulé pour récupérer son portable volé. Enfin il a le courage de confronter l'autre et de sortir de son petit monde protégé.

    L'art n'aura jamais pour source que la vie. Elle tente d'en dire quelque chose là où le langage échoue à le faire. L'art ne peut pas tourner en rond sur lui-même sans se dessécher. L'artiste c'est celui qui se confronte au vivant avec le risque de subir personnellement ce dont l'animal humain est capable. 

     

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  • La belle et la meute - Kaouther Ben Hania et J'AIME BIEN, MAIS...

    Après le temps du Jasmin en 2011 qui a fait espérer toute la jeunesse du monde arabe, Ben Hania nous fait déchanter devant une représentation anxiogène de la société tunisienne post-révolution et pourtant toujours lacunaire en terme de droits. Un film assurément féministe mais idéologiquement gênant...

    Une scénographie de théâtre à l'intérieur d'une mise en scène de cinéma est une forme audacieuse et techniquement assez complexe à réaliser. Chaque chapitre est un plan séquence d'environ 10 minutes, avec une succession de mouvements très précis qui rappellent la prouesse d'Hitchcock dans le film "La corde" (puisque lui aussi devait changer de bobine à l'issue de chaque plan séquence de 10 minutes). Une technique au service d'une dénonciation franche du peu de progrès démocratique en Tunisie. Ce pays étant encore sclérosé par la corruption, la tradition, et le poids de l'honneur familiale porté par les femmes. Ce choix de mise en scène théâtrale permet un excès dramatique dans le ton, mais donne aussi une impression de caricature.

    C'est un film de femme qui traite d'une angoisse de femme : la peur des hommes. Soulevant une question qu'on se pose toutes, à savoir comment vivre pleinement sa féminité sans risquer de s'attirer le désir (par nature agressif) des hommes. Comment donner à voir sa beauté sans être accusée d'être une tentatrice. Comment assumer son goût pour les hommes sans se sentir coupable. Cette problématique est universelle, et sans doute d'autant plus aiguë dans un monde arabe où la tradition laisse peu de place au plaisir de jouer avec sa féminité, par conséquent peu de place au plaisir érotique partagé en général, et donc une large tendance à la frustration.

    Mais si on se dit que l'harmonisation des rapports hommes/femmes est un problème d'ordre culturel, qui dépend de ce qui circule dans une société constituée d'hommes et de femmes, on regrette  que les hommes soient à ce point déshumanisés dans cette histoire. S'il est bien sûr légitime de se battre pour que la femme soit mieux protégée par la loi, s'il est bien sûr légitime de mettre en place des contre-pouvoirs pour limiter les abus de la police, il est dommage de comparer les hommes tunisiens à une meute de chiens. Cette analogie trop explicite dans le film me met mal à l'aise...

    La belle et la meute - Kaouther Ben Hania et

    On touche du doigt là où la lutte féministe devient gênante, quand elle diabolise le masculin en général, quand elle le déshumanise comme dans un processus de guerre où l’ennemi n'est qu'un barbare avec lequel tout dialogue devient impossible. Puisque la parole est ce qui fait lien entre les êtres humains, comment progresser culturellement avec une meute de chiens en présence ?

    Le viol à l'origine de ce récit met le spectateur immédiatement du côté de l'héroïne avec l'injonction de rendre impossible toute critique à son encontre. L'indication que ce film est tiré d'une histoire vraie tente de mettre le spectateur dans un état d'empathie plus que certain (je m’interroge de plus en plus sur la disparation de cette phrase au début des film "Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite"). Car si on fait l'exercice de mettre de côté l'histoire vraie d'une femme violée par des policiers - drame qu'on ne peut que condamner avec vigueur - que voit-on dans cette fiction ?

    Une représentation de la femme dans sa continuelle beauté quelques soit les circonstances. Tout au long du film, l'héroïne reste dans sa belle robe de satin bleue glamour telle une actrice de l'âge d'or Hollywood qui sublimerait la laideur du monde environnant. Elle reste dans cette splendeur innocente même dans la salle d'attente des urgences d'un hôpital bondé, ou seule dans les rues la nuit, ou encore lors de sa déclaration de plainte devant de virils policiers. C'est très cinématographique, très joli mais cela soulève une question de l'ordre du pouvoir.

    La belle et la meute - Kaouther Ben Hania

    Car si on se détache de ce qu'il y a de fascinant dans la beauté féminine, si on cesse d'être sous l'emprise de l'attractivité magique du féminin, si on sort du vecteur inconscient qui nous range du côté du beau ; il s'agit de comprendre que la beauté est un pouvoir. La force physique de l'homme est un pouvoir. La beauté de la femme est un pouvoir.  La beauté est une force, et il suffit pour s'en convaincre de voir ce qu'elle est capable de mobiliser comme énergie chez qui veut la posséder (homme ou femme). C'est pour cela qu'elle est première au service du capitalisme pour vendre du savon ou des voitures!

    C'est peut-être pour cela que le Père reste hors champ à la fin du film, quand son arrivée aurait été une sacrée ponctuation ? Le Père aurait pu représenter l'homme juste qui protège (enfin!) en limitant le pouvoir des hommes abusifs. Mais le Père est aussi celui qui doit limiter le pouvoir d'attractivité de sa fille qui ne peut pas se jouer partout (non pas parce qu'elle est coupable d'être belle, mais parce qu'il est naïf de penser que susciter le désir des hommes est sans danger).

    C'est ici que je vois du particulier dans le regard de Ben Hania, sous la forme d'une revendication d'un pouvoir féminin sans limite. L'utopie d'une société où le désir masculin serait sans cesse retenu et sans risque ; pour permettre au plaisir d'être femme de s'exprimer tout le temps. Une sorte de basculement du pouvoir du côté de la femme, libre de manifester sa beauté en permanence sans se soucier du désir qu'elle entraine, et tenant les hommes à distance malgré leur supériorité physique. Une domination comme renversée, certes jouissive pour les femmes sur le plan de la revanche (compte-tenu d'une domination masculine aujourd'hui écrasante pour les femmes du monde entier), mais toujours sans doute insatisfaisante sur le plan érotique, et douloureux pour nos civilisations.

     

    Fiche technique :

    • Titre original : Aala Kaf Ifrit
    • Réalisation : Kaouther Ben Hania
    • Scénario : Kaouther Ben Hania
    • Photographie : Johan Holmquist
    • Montage : Nadia Ben Rachid
    • Musique : Amine Bouhafa
    • Production : Nadim Cheikhrouha
    • Pays d’origine : Tunisie
    • Langue originale : arabe
    • Format : couleur
    • Genre : thriller, drame
    • Durée : 100 minutes
    • Dates de sortie :  France : octobre 2017
    • Budget : 850 000 euros

    Distribution :

     

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